Histoire de la vie à Saint Véran

La commune de Saint Véran est située dans le Queyras. Il est fier de montrer aux Français qu’ils vont parfois chercher bien loin ce qu’ils ont chez eux : une vallée parée des plus beaux attraits que dame nature sait octroyer.

C'est est un parc naturel régional qui comprend huit communes : Arvieux, Abriès, Aiguilles, Ceillac, Château Ville Vieille, Molines, Ristolas et Saint Véran. Le mot Queyras vient probablement de l’occitan Cairàs mais se prononce à la française : le s final est muet.

 

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Le village de Saint Véran doit son nom à une légende : celle d’un évêque, Véran, archevêque de Cavaillon, qui au VI ème siècle réussit là où tant d’autres avaient échoué. Il chassa le terrible dragon qui dévastait le pays et la bête s’enfuit du Vaucluse en suivant la Durance puis vint mourir au village qui prend alors son nom.

 

 

Sous le calendrier républicain les noms saints sont supprimés et Saint-Véran s'appelle alors Blanche-froide.

 

 

Quelques repères chronologiques

 

1856 Ouverture de la route carrossable.

1875 Avec la création du CAF, venue des premiers touristes pour l’escalade et construction des résidences pour l’hébergement.

1884 La première locomotive arrive à Montdauphin.

1898 Arrivée de la poste à Saint-Véran.

1904 Création d’un poste de facteur receveur à Molines.

1925 Arrivée de la radio et de la téléphonie sans fil (cadeau de l’ingénieur de la mine).

1928 L’électricité arrive pour tout le village, elle était à Molines en 1922 mais la guerre avait arrêté les travaux. Peu de compteurs. 1 compteur = plusieurs lampes. Pas de compteur = 1 ou 2 lampes de 15 à 25 watt. L’électricité est fournie par l’usine Cotti à Aiguilles.

Les gens se chauffent au charbon, propane, électricité. C’est ainsi que prend fin la cohabitation avec les bêtes.

1928 Installation d’un boulanger.

1930 Les paysans construisent des chambres dans les granges et les étages réservés au foin afin de loger les touristes mais l’accès au Queyras est difficile : le chemin de fer jusqu’à Montdauphin et ensuite 2 jours de mulet.

1932 Nestlé Gap ramasse tout le lait qui avant était traité dans les fruitières communales.

1933 Construction de l’hôtel Beauregar.

1936 Construction du premier téléski.

1945 EDF reprend l’installation de Cotti et la conserve jusqu’en 1957.

1948 Arrivée de l’eau courante aux Forannes et au Chatelet. Les quartiers de la Ville et du Villar l’auront plus tard car ils n’ont pas de source. Avant il fallait aller chercher l’eau à la fontaine.

1950 Arrivée du tourisme.

1962 Première chaîne de télévision.

1970 Les Queyrassins ne produisent plus pour subsister et l’agriculture n’est plus la source principale de leurs revenus, la pluriactivité est fréquente. L’artisanat se réactive autour du bois.


La vie des quartiers

 

Dans le village, la vie s’organise par quartier, chacun ayant sa fontaine et son lavoir, son four à pain. Même la garde du troupeau était assurée à tour de rôle par les familles. Jusqu’en 1950 la vie dans le Queyras ne se comprend pas sans la part imposante prise par la vie collective au niveau de la commune, du hameau, du quartier. Entraide mutuelle pour ceux qui sont dans le besoin ou pour la construction d’une maison, mais aussi une vie collective organisée, cuisson du pain par quartier, collecte du lait.

 

Il y a une fontaine par quartier. Elle est en bois et en deux parties : le bassin rond « la tino » sert d’abreuvoir aux bêtes et pour puiser de l'eau  ; la partie rectangulaire « le bachas » est l'endroit où les femmes lavent le linge.

 

 

Les veillées se font par quartier ou alors dans sa famille. Quand les enfants sont jeunes ils restent avec les parents plus tard ils se retrouvent chez l’un d’entre eux pendant que les parents sont chez un autre.

Les veillées sont l’occasion de jouer aux cartes : bellotte, 500, rami, mariage, bavard, manille.

Les adolescents se racontent des histoires à faire peur « revenants, loups, etc » ; ils n’ont qu’un petit « djanoun » petite lampe à huile pour s’éclairer au retour et cette lampe n’éclaire pas plus loin que leurs pieds….

Les adultes racontent des histoires de « papa chantel, juiferrant, le boumian, culblanc » ou il est question de méchantes personnes qui viennent et enlèvent les enfants qui ne sont pas sages.


Le temps : les cadrans solaires

 

Le temps de l’habitant est régit par le rythme des saisons et les soins à donner aux bêtes, le cadran solaire est le meilleur moyen de marquer quelques moments précis. Il revêt très souvent une dimension religieuse et exprime de manière harmonieuse le temps qui passe.

La réalisation du cadran est sous forte influence Italienne et très souvent peint « a fesco » sur une base à la chaux. Un Italien est célèbre dans toutes les Hautes-Alpes pour ses cadrans solaires : Giovanni Francesco Zarbula ; ses cadrans sont reconnaissables aux corbeilles de fleurs et aux oiseaux qui y figurent.

Les cadrans solaires du Queyras ont une autre particularité liée à la situation du lieu : l’été les cadrans ont 1h30 de décalage par rapport à la montre et l’hiver 0h30.

Il y a 24 cadrans solaires sur la commune de Saint-Véran ; 19 au village, 1 au hameau du Raux et 4 au hameau de La Chalp.

Ils ne sont pas toujours réalisés sur la face sud de la maison, et peuvent être sur les façades est ou ouest et dans ce cas donnent l’heure le matin ou l’après midi.

Quelques devises de cadrans solaires :

« Sans le soleil je ne suis rien, et toi sans Dieu tu ne peux rien »

« Ne compte pas sur la première car tout dépend de la dernière »

« Toutes les heures blessent, la dernière tue »

« Mortel sais-tu à quoi je sers, je marque les heures que tu perds »


L'alimentation

 

La base de l’alimentation c’est de la soupe matin, midi et soir avec du pain trempé et des laitages.

 

Le petit déjeuner vers 5h00 : « lou disnar » : c’est du café au lait ou de la soupe avec du pain trempé ou du gruau.

L’en-cas de 10h00 : « un bolé » : est fait de fromage, de lard, d’œufs et de pain.

Le repas de midi : « la mérindo » : se compose en général de soupe, de lard avec des pommes de terres accommodées de toutes sortes de manières, ou des carottes. Parfois de la viande, des choux, de la salade.

Le gouter : « lou goustar » : se fait avec du café au lait et du pain dur mis à tremper dans le bol. Le pain dur c’est celui qui est le plus ancien, donc le plus dur, et il est coupé au « chanestre ». Il s’agit d’une lame tranchante ajustée sur un support en bois.

Le repas du soir : « la cino  ou la céna» : est composée de soupes diverses, ou de bouillies au lait « les poutilles », faites avec de la farine, des herbes ou des pates ; « les grussies » c’est de la farine de grains d’orge y compris l’enveloppe moulue très grossièrement.

La soupe au lait se fait avec des bouts de pomme de terre trempés dedans, elle se mange surtout en hiver, et c’est horriblement mauvais.

 

Il n’y a des desserts que parfois le dimanche parfois et les jours de fêtes ; de la tourte de riz, du gâteau, des matefins (crêpes très épaisses) et les jours de fête uniquement, une crème aux œufs.

 

Les fruits : il y en a uniquement pour Noël et ils sont achetés. L’enfant reçoit une orange ou une mandarine et une papillote, un jésus ou un ange en sucre. « …Le petit Jésus, on commençait par lui manger les bras, puis les jambes et on n’osait pas lui manger la tête, mais en général un gourmand passait par là et avait moins de scrupules et avalait le reste, pour l’ange c’était pareil on commençait par les ailes et le gourmand terminait»...

 

Chacun fait son fromage et son beurre et ses lasagnes. La famille achète aussi une barrique de vin à Guillestre ou à Saint-Clément pour l’été ; l’hiver elle boit de l’eau ; elle achète également de la morue séchée.

 

Pour nourrir une famille il faut une vache par an  ; des œufs pour faire des beignets.

La vache tuée est découpée en 4 quartiers que l’on laisse égoutter dans le pétrin. Puis on en ramène ¼ à l’écurie avec lequel ont fait des petites parts que l’on perce d’un trou dans lequel on passe une ficelle et on les pend. Cela fait de la viande séchée qui se mange bouillie avec des pommes de terre, des carottes ou des choux. Le bouillon de la cuisson sert à faire la soupe pour tremper le pain.

Un porc est tué en novembre ou décembre et c’est une journée de fête ou on fait « rebobi » c’est à dire qu’on ne mange que du cochon sous toutes ses formes de préparation.


Le Pain

 

Le pain se faisait tous les mois du printemps à l’automne et en novembre on faisait le « tcharendar » pour permettre de tenir jusqu’en mars/avril. Le tcharendar c’était 2, 3, 4 ou 5 fournées par famille que l’on mettait dans la « maït » et au « chambroun » où il séchait. Le boulanger de Molines passait et vendait des gros pains, un pain faisait pour une semaine comme pain frais et le pain dur du chambroun ou de la maït allait dans la soupe ou le café au lait pour épaissir.

 

Chacun faisait sa pâte à la maison et venait au four avec ses instruments, le parasoun pour enfourner le pain et celui pour le sortir. On faisait la pâte à pain dans la maït et quand elle avait levé on retournait le couvercle en travers sur le dessus, une personne sortait la pâte, l’autre pétrissait, l’autre mettait sur la panière et les hommes les portaient au four pour la cuisson. Il fallait faire attention de ne pas faire un faux pas sinon tous les pains glissaient sur la planche et allaient par terre.

 

On faisait le pain par quartier, soit un seul quartier soit deux ensembles. On faisait une réunion au four et chacun portait 2 bûches pour chauffer le four et on tirait des numéros, 15 personnes – 15 numéros, pour donner un tour à chacun. Le numéro 1 continuait de chauffer le four mais avec ses propres bûches, au risque de trop chauffer ou pas assez, et il faisait cuire sa fournée de pain. Le four fonctionnait comme ça jour et nuit jusqu’à ce que chacun ait fait sa fournée. Le dernier jour le four refroidissait et on y mettait à cuire des pommes de terre.

 

 

A chaque fournée il fallait remplir le four de bûches de bois entassées en carrés sur 60 cm de haut environ. On mettait des brondes liées par de la paille au centre et on allumait le feu. La paille mettait le feu aux brondes et les brondes aux bûches. Quand le bois était calciné on sortait les charbons de bois que l’on jetait dans un seau d’eau. Avec le « pénaî » long bâton avec un chiffon au bout qu’on trempait dans un seau d’eau, on ramassait le charbon qui partait à la forge et servait à chauffer le fer.

 

Une fournée mettait environ 40 mm à cuire. Au-dessus du four il y  avait des volets, si le four était trop chaud il fallait les ouvrir pour le refroidir.

 

La farine provient des cinq moulins du hameau du Raux, situés le long de la rivière.  Les canalisations d’eau furent détruites lors des inondations de 1957 et l’activité des moulins cessa.

 


La menace des flammes

 

Après l’incendie qui détruisit le chef-lieu en 1525, les habitants reconstruisent leurs maisons par quartier, les quartiers sont séparés par des zones inconstructibles. Ces zones inconstructibles seront respectées jusqu’en 1875, car elles permettaient de circonscrire un incendie si celui-ci se déclarait.

Dès 1837, St Véran crée une mutuelle contre les risques d’incendie. En 1918 toutes les années, chacun paye une somme à la mutuelle. La mutuelle a été arrêtée après 1968, suite à l’incendie des Forannes qui a brûlé trois maisons. La mutuelle partagea l’argent qu’elle possédait encore entre les sinistrés puis fut dissoute car les habitants de Saint Véran étaient maintenant tous assurés par des compagnies d’assurances.

Pour lutter contre les incendies, dès l’automne, quand le foin est rentré, chacun son tour a la surveillance du village. Il y a une grosse clé de 20 cm qui sert de symbole, celui qui l’a est le surveillant. Celui qui est de garde fait le tour du village. A minuit il crie devant la dernière maison « la garde » et attend une réponse pour repartir dans l’autre sens. Il fait cela toute la nuit et la nuit suivante un autre fait la même chose. Le tour revient à peu près tous les 2 mois.

S’il y a le feu il doit sonner les cloches à l’église pour avertir tout le monde. Les gens sortent et vont à la pompe à bras. On remplit cette pompe d’eau et 8 hommes pompent pour amener l’eau à la lance. Les autres personnes viennent avec des seaux en toile qu’elles remplissent d’eau à la fontaine et en faisant la chaîne remplissent la pompe. Chacun vient avec son propre seau en toile, évidemment ils perdent un peu mais ne prennent pas de place et ne sont pas trop lourds. Au départ de la fontaine ils sont bien remplis et arrivés à la pompe à moitié vide, c’est pour cela qu’il faut beaucoup de monde

Une famille dont la maison avait brûlé allait vivre chez un parent ou quelqu’un d’autre si elle n’avait pas de parent, ainsi que le bétail jusqu’à ce que la maison soit rebâtie. Pour les gens ça allait mais pour les animaux c’était plus compliqué car il n’y avait plus le stock de fourrage nécessaire. Un incendie dans le quartier du Raux en 1870 brûla 32 maisons et les habitants furent contraints de quitter Saint Véran car il n’y avait pas de place dans le village pour loger tous les sinistrés… Ils ne revinrent jamais.


La vie religieuse

 

Les bâtiments

L’église date du 17ème siècle et a probablement été construite à l’emplacement d’églises plus anciennes. Elle n’a pas de chœur, pas de nef, pas de bas-côté. Elle a été dessinée par un ingénieur huguenot en remplacement de celle détruite pendant les guerres de religion.

Le Christ, le chemin de croix, des bas-reliefs, des statues ont été faites par les gens du pays ainsi que les santons de la crèche.

Le cimetière n’est composé que de tombes ; tout le monde est enterré selon un ordre régulier qui tourne autour de l’église.

Le temple a été construit après l’édit de Nantes. Il a été détruit à la révocation de cet édit et rebâti en 1804.

 

Les enfants

Les enfants vont au catéchisme le jeudi et le dimanche après-midi.

Le dimanche matin il y a messe. Les enfants sont « servants de cœur » de leur première communion à leur communion solennelle, soit de 6 à 12 ans.

Pour sa communion solennelle, le communiant fait un cadeau au curé. Lors de cet événement les enfants sont bien habillés ; les garçons portent un brassard blanc et les filles une couronne blanche.

Les servants de cœur sont toujours par deux, un grand et un petit. Le dimanche ils sont six à servir la messe. Ils récitent les prières en latin, pour les plus courantes ils savent ce que signifient les mots, pour les autres c’est du par cœur.


Le temps religieux

Pendant la semaine, tous les matins à 6h30 avant l’école, il y a la messe basse, qui est une messe où il n’y a pas de chants ; ensuite les enfants rentrent prendre leur petit déjeuner et vont à l’école.

Le dimanche la messe dure 2h00 avec une procession de foi dans le village, soit au Col la Croix, soit à la Ville. Les gens attendent que la procession passe pour s’y joindre et le curé attend que tout le monde soit là pour commencer la messe ; l’été il y a procession tous les dimanches.

En mai, tous les soirs vers 20h00 il y a le chapelet et la bénédiction. Tous les enfants y vont mais pas les adultes qui eux travaillent.

 


Les récoltes

 

Du temps où tous les prés étaient fauchés, d’un commun accord entre tous et pour éviter de piétiner l’herbe du voisin, vu l’enchevêtrement des parcelles, la fenaison commençait le même jour pour tout le monde, la première quinzaine de juillet.

Une autre récolte effectuée dans le pays était celle des graines de mélèze. A partir de 1904, les derniers jours d’automne, tous les gens disponibles s’en allaient dans la forêt récolter les graines de mélèze. Le mélèze fleurit en juin et fructifie en octobre tous les deux ans. Ensuite il fallait les trier en les passant au tarare, le « ventoir ».


 

 

Le siècle qui voit entrer la France dans l’ère industrielle a laissé le Queyras en dehors des évènements. Il subit après 1850 le choc de l’urbanisation et le handicap de son agriculture de montagne. Il sera relié en 1856 à Guillestre par l’ouverture de la route carrossable. Par la suite tous les hameaux et villages seront reliés. L’autarcie s’efface peu à peu. Entre 1896 et 1954 la population du Queyras passe de 4924 habitants à 2350 car les adultes partent dans les villes. La première guerre mondiale fait des ravages : 210 morts pour le Queyras.

 

Avec la baisse de la population, l’apparition de la société de consommation, le changement dans les structures agricoles provoque le déclin de la vie collective. Pourtant des traces subsistent : groupement d’agriculteurs pour la modernisation des techniques et des exploitations, et le tourisme arrive.

La pierre fiche
La pierre fiche

Quelques traces d'un passé plus ancien

 

La pierre fiche serait un monument qui servait aux rites druidesques.

D’après la tradition populaire, une druidesse « la roumano », vivait solitaire sur le sommet de Pennin qui rappelle la divinité gauloise de ce nom.

Montbardon aurait été fondée par une colonie de la caste druidique des Bardes, 3ème catégorie des druides destinées par leurs poèmes et hymnes à fortifier le courage militaire (la 1ère catégorie formait la classe savante et la 2ème « les ovates » : les prêtres et subalternes).

Le pied du « longet » à Saint-Véran, aurait été un lieu de réunion des sorciers pour leur sabbat et leurs sacrifices.

 

En 1858 Joseph Paul Isnel cantonnier découvre au Cros tout près du Raux au-dessus de la route, une sépulture avec un squelette. Ce squelette porte 2 torques au cou et 3 anneaux et bracelets ornés de gravures à chaque bras, le tout en bronze si éclatant qu’il les croit en or. Ce tombeau daterait du premier âge de fer et serait de la même époque que la nécropole de Panacelle près de Guillestre, correspondant au IXème et Xème siècles avant Jésus-Christ.

 

A La Chalp on a trouvé en 1834 des urnes en terre noire contenant des ossements calcinés et des anneaux et autres menus objets en bronze. Il est probable qu’ils datent de l’époque gauloise, sans certitude.

 

Des monnaies romaines ont été trouvées aux Prats-Hauts, des tombeaux aux Escoyères, la Monta, l’Echalp renfermant des squelettes portant des anneaux.